VENTE AU MARCHÉ II
— Le jour ou l’art ne sera plus qu’une affaire de petits et de grands boutiquiers, alors...
— Ce jour est déjà là, je le crains. Ils ont envahi le temple et usent de l’autel pour étal. Tout est à vendre. Même leur âme.
— Alors, c’est que le monde lui-même a perdu son âme.
(Chroniques du Vulvolithique, p. 318)
La première économie fut l’échange de bien, le troc. Puis on a inventé l’argent. C’est bien pratique, l’argent. Mais nous en avons fait un instrument de pouvoir. On peut écraser l’autre avec de l’argent, on peut même acheter son âme, c’est comme ça qu’on a inventé aussi le commerce des âmes, qui est plus répandu qu’on ne croit car il ne se voit pas, il est presque invisible à l’oeil. Il y a des hommes qui vendent leur âme pour presque rien, des femmes qui vendent leur corps pour moins que ça, c’est toujours du commerce.
Il ne s’agissait pas de vendre, il s’agissait de dire. Au marteau!
Au moment où il écrivait sa saison en enfer, et quand il l’a publié, Rimbaud croyait en la valeur de son travail. Quand il a brûlé dans le cheminée les exemplaires qu’il lui restait, il n’y croyait plus. Plus tard, lorsqu’il sera en orient et qu’un journaliste lui dira: «À Paris on ne parle que de vos poèmes.» Il répondra: «Vous voulez parler de mes raclures».
Le regard qu’on porte sur notre travail peut changer selon le temps et les circonstances. Aujourd’hui je vais vendre “mes raclures” au marché, à 1 euro la pièce, comme je vendrais des poireaux.
Et si je ne trouve pas preneur, je brûlerai tout ça dans la cheminée. (Non, c'n'est pas vrai).
C’est difficile de vendre ses oeuvres à 1€, parce qu’on a le sentiment de dévaloriser son propre travail, voire de le mépriser.
«Qu’une chose soit difficile doit être pour nous [artistes, poètes...] une raison supplémentaire de l’accomplir.» (Rilke)
L’artiste devrait donner ses oeuvres, et non pas les vendre, car il est déjà payé par l’acte de créer. Il devrait, comme le préconise Houllebecq, utiliser à plein les mécanismes de solidarité sociale (allocation chômage, RMI, etc...) ainsi que le soutien d’amis plus aisés, et ne pas développer de culpabilité excessive à cet égard: le poète est un parasite sacré.
Et combien nécessaire à la société, que celle-ci soit dotée d’une économie riche ou pauvre.
L’art a perdu sa fonction qui était de sauver, non de distraire ou de commercer.
Doss. Marché 1 €: dénoncer et mépriser* l’esprit boutiquier des petits et des grands boutiquiers qui ont fait de l’art un produit, une marchandise, une valeur boursière au détriment de la valeur transcendantale qui primait depuis l’aurignacien jusqu’au XIVe siècle. L’art est religieux ou n’est pas. (J’entends par religieux qui sauve, par opposition à l’art qui distrait). Position dogmatique? C’est la mienne!
* Mépriser: regarder d’un oeil oblique et outré - pour rester gentil.
Je ne suis pas venu sur terre pour payer mes dettes, je suis venu écrire un poème.
Bilan provisoire:
Avec les 13 € gagnés ce jour-là j’ai pu me payer une pizza (alsacienne) et un quart de blanc sec.
Et j’ai ajouté quelques ennemis de plus dans la corporation des artistes pour qui le premier soucis du matin n’est pas de créer, mais de vendre ce qui été produit la veille.
Un artiste ne doit pas vivre de son art, il doit en mourir.
J’ai essayé de chasser les marchands du temple et bien sûr j’ai échoué. C’était évidemment une bataille perdue d’avance. Mon tort de vieil adolescent incurable est d’avoir eu la naïveté de croire qu’on pouvait changer quelque chose à ce monde de petits et de grands boutiquiers.
Si Rimbaud est parti en Abyssinie c’était parce qu’il n’avait plus d’amis en France, il n’avait personne qui lui aurait dit que sa poésie était géniale, au contraire le regard des autres lui disait qu’il n'était pas un poète, et que ses soit disant poèmes étaient des “raclures” (le terme est de lui: il jugeait ainsi son travail parce qu’on l’avait convaincu que son travail n’était pas autre chose que ça.)
Entendu sur France Culture, dans un documentaire, que l’Islam devait en grande partie son expansion au commerce, parce que le prophète a autorisé et encouragé le commerce.
Un jour j’ai voulu, à coup de mots et de pochoir, chasser les marchands du temple à la grotte. Pour moi la grotte est un temple. Je ne suis pas Charlie, je suis l’homme de Chauvet. Pour l’homme de Chauvet une grotte était plus qu’un temple, plus qu’une cathédrale, c’était le ventre sacré de la Terre-mère, le saint des saints de son utérus.
Je me suis attaqué à la puissance publique, car les marchands du temple en font partie, ils en sont les mercenaires. Quiconque se dresse contre l’Etat ou l’Eglise court le risque de l’échafaud ou du bûcher. Je suis un rebelle, un hérétique, et j’aurais la fin que méritent ces scélérats.
Claudius, l’artiste le moins cher du monde.
Il vend ses oeuvre dans les marchés, à côté des asperges et des poireaux. Une botte d’asperges vaux plus cher, sur le marché du Mas d’Azil, qu’une oeuvre de Claudius.
Je savais qu’en refusant de mettre la main dans le marché de l’art j’allais droit à la ruine. Mais je préfère la ruine à l’indécence.
Le marché de l’art est devenu une religion universelle où les fidèles sont des marchands du temple. Une religion de l’indécence. Mieux vaut crever dans la ruine que mourir d’indécence.
Peut-être aurait-il fallu se réserver un domaine, un seul, exempt de tout commerce, ce domaine aurait été celui de l’art, comme au temps de l’art religieux, de l’aurignacien au quatrocentto.
Mais l’homme est un animal commerçant autant que religieux. Est-ce bien raisonnable de vouloir aller contre sa nature?
Dans la préface des Contemplations, Victor Hugo interroge son œuvre en ces termes : " Est-ce donc la vie d'un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis. La destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent " moi ". Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi. “
Si je ne comprends à peu près rien au monde dans lequel je vis c'est sans parce que je suis né quelques milliers d’années trop tard. J’eusse été mieux à l’époque où l’art était un moyen de salut. À ce moment là (de l’aurignacien au XIVe siècle), la chose ne s’appelait pas art.
La seule affinité que je me sens avec le nazaréen est qu’il chassa les marchands du temple à coup de fouet.
Aujourd’hui il devrait y renoncer: le monde entier est devenu un temple, le temple de l’argent et des marchands. Et c’est dans le monde l’art que l’indécence dépasse l’hubris.
Le plus grand mérite, la plus grande gloire, aujourd’hui, serait de mourir ruiné. Et par là revendiquer la possibilité d’un autre monde.
Données inter:
Gerhard RICHTER est le grand numéro 1 cette année. Il domine la moitié du classement et enfonce le clou avec un nouveau record enregistré sous sa signature en février dernier. L’un des ses champs abstraits (Abstraktes bild) de 1986 a dépassé de quelques 16 millions son estimation haute pour hisser son nouveau record à 46,3 m$ frais inclu (Sotheby’s Londres). En 10 ans, l’indice de prix de Richter a grimpé de 234%, une progression importante, qui se traduit dans le faste d’un chiffre d’affaires multiplié par 10 sur la même période : son produit de ventes annuel aux enchères est passé de moins de 22 m$ en 2005 à plus de 254 m$ l’année dernière. Cette véritable flambée est digne des excès du marché pour un artiste plus jeune que Richter : l’américain, qui plafonne quant à lui à 58,4 m$ frais inclus depuis 2013 (pour une sculpture géante de Balloon Dog vendue en 2013 Christie’s New York) et demeure l’artiste vivant le plus cher du monde. Bien qu’il n’ai pas renouvelé d’exploit cette année, il reste en lice des artistes les plus chers et convoités en clôturant notre classement (le prix de sa sculpture Louis XIV, vendue 10,8 m$ le 13 mai dernier, affiche une hausse de plus de 4 400% en 20 ans). Richter est lui-même dérouté par les montants astronomiques générés par la vente de ses œuvres : il confiait à The Guardian, en mars 2015, être « horrifié » de voir les records sans cesse battus. Bien qu’ils s’agissent de bonnes nouvelles, ces sommes lui paraissent choquantes. La course aux records ne dépend pas toujours des artistes, en tout cas pas pour Richter qui craint un écroulement des prix et préfère se souvenir avec nostalgie de la joie qu’il a ressenti, il y a 30 ans, lors de la vente d’une toile abstraite à un collectionneur de Cologne. La toile se vendait alors autour de 10 000 $ et la valeur financière n’avait pas encore pris le pas sur l’intérêt sensible de l’oeuvre...
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